Interview de Sylvain Frécon, à propos de “#Lesmémés”

Dessinateur en 1999 de La Piste du tigre, publiée chez Timbropresse, à la série #Lesmémés, parue chez Fluide Glacial, Sylvain Frécon a été tantôt dessinateur, coloriste, scénariste… C'est dans Umour de poche, Cuvée 2020, un ouvrage collectif, qu'il fait ses débuts en tant que scénariste pour ses propres planches. #Lesmémés est sa première série en solo. Une série décoiffante où l'humour est omniprésent.
Comment est venue l’idée des Mémés ?
Ce sont des petits personnages qui me trottent dans la tête depuis longtemps. J'habite dans le vingtième arrondissement à paris. Je les croise dès que je mets le pied hors de chez moi, elles sont partout dans la rue. Donc l'idée m'est venue de concrétiser ça. Pour la petite histoire, j’ai d'abord testé le concept des mémés sur Facebook. Je publiais régulièrement des choses en trois cases, six cases, ou en une, des idées à la con qui me passaient par la tête, que je mettais en scène. Je ne pense même pas que l'idée de les appeler mémé, soit venu tout de suite. Tout s'est construit dans le temps, le nom des mémés, le physique des mémés, le choix des mémés récurrentes, le type d'humour que je voulais développer à travers elle. Je faisais ça en plus de mon travail. Je suis illustrateur jeunesse à la base, je travaille pour la presse, pour Bayard. Dès que j'avais une idée qui me passait par la tête, je crayonnai ça rapidement dans un style très succinct, et je postais. J'ai fait ça pendant deux ans. Je commençais même à comprendre ce que je voulais dire avec elle. Ça a commencé à rencontrer son public, et ça a été repéré par Olivier Sulpice des éditions Bambou. Il me connaissait déjà car j’avais colorisé certaines séries pour eux il y a dix ans. Et donc un jour Olivier Sulpice m’envoie un message privé sur Facebook pour me dire que ça l'intéressait bien et qui voulait me mettre en relation avec Fluide Glacial, car Bamboo les avait rachetés il y a quelques années de ça. Jean-Christophe Delpierre, le rédac’ chef m'a contacté. On s'est vu, on a discuté, il m’a dit qu’il aimait bien et il m’a convaincu qu’il fallait que, graphiquement, ce soit un peu plus travaillé, que ce soit plus généreux. Et il avait raison.

Où trouvez-vous vos idées pour les gags ?
Je les trouve dans ma tête. Dans la tête d'un mec qui vit en 2023, un mec qu'à cinquante ans, un mec qui vit dans vingtième. Je puise dans mon cerveau, mais ce n'est pas sociologique. Je vois les mémés avec leur caddie, je les observe, et je projette. Je réfléchis quand même à ce que c'est que cette période de fin de vie avec, mais je ne dis rien de sociologique, parce que je ne vais pas discuter avec elle pour puiser des idées.
Dans les sketches humoristiques les mémés sont très utilisées, que ce soit la mère Bodin, ou les Vamps, mais il n’y a pas eu ou peu de BD mettant en scène des mémés. Pourquoi ce choix ?
Il y a eu Carmen Cru dans les années quatre-vingt. C'était une vieillesse très misanthrope, très sombre, très noire, très drôle. J'avais acheté deux, trois albums, de Carmen Cru. Moi, mes mémés, elles sont plus vivantes, plus positives, plus légères, surtout Huguette. C'est celle dans lequel je me projette le plus.
Quand on ouvre l’album, on découvre en intérieur de couverture une photo d’un évier avec trois nouilles dedans. On comprend ce choix en lisant la planche #évier, où la bulle dit « Parfois, j'ai l'impression d'être comme cette pauvre petite coquillette toute blanchie, qui refuse d'être avalée par l'évier ! » Est-ce cette case qui vous a donné l’idée de la photo ?
J'étais simplement en train de nettoyer mon évier, et j'ai vu cette nouille. On connaît tous ça, cette image de la pauvre nouille. Donc j'ai pondu le gag et rapidement m'est venue l'envie de faire un rappel avec la page d'intérieur. J’avais l'envie de concrétiser ça par une photo.

Quelles étaient ces photos, dans les tomes un et deux ?
Dans le tome un, on voyait des bouts de caddies rangés près d'une porte, avec les roues. Dans le tome deux c'était des verres sur un zinc. On est allés dans une brasserie à côté de chez moi, à métro Saint-Fargeau. C'est une brasserie très popu, avec l'écran télé, les éboueurs qui viennent prendre leur café. C’est là où j’imagine mes mémés, on y est donc allé faire des photos avec une personne de chez Fluide. Puis elle est venue dans mon appartement, photographier mon évier. C'est vraiment celui-là où est né l'idée du gag. J'aime bien ce principe de la photo en page de garde. Ca crée un lien interessant avec le reel.
Toutes les planches sont faites avec des cases très arrondies, voir en ellipse, et où les bulles débordent du dessin. Comment est venue cette idée de pagination ?
C'est venu durant la période Facebook où je crayonnai mes idées rapidement, sans enfermer mes personnages dans des cases. Plutôt comme une suite d’étapes d’une même scène. On a ensuite gardé ce principe pour l'album. Pour ce qui est des bulles, comme il peut y avoir beaucoup de textes, et que le texte est très important, j'aime bien l'idée que ce ne soit pas fermé. Que le texte et l'image s'articulent bien, que tout rentre sans que ce ne soit lourd. J'aime bien l'idée que les bulles soient ouvertes, tout comme j’aime beaucoup les points de suspension dans mes dialogues. Quand j'étais gamin, j'écoutais beaucoup ma grand-mère et ma mère parler dans la cuisine. Elles ne s'emmerdaient pas à respecter le français, c’était un langage parlé, avec des bouts de phrases sans fin, des amorces de phrases, des tournures de phrases super tordue. Un puriste de la langue française, se serait arraché les cheveux. Du coup, mes dialogues sont parfois dans un français approximatif, c'est du langage parlé brut de décoffrage, que je m'amuse à ciseler.

Avez-vous été influencé par Binet ou Bretécher, en tant qu’auteur humoristique ?
Bretécher, malheureusement je connais pas et j'en ai honte, il faut que faut que je m'achète une intégrale. En fait, je ne me revendique pas de quelque chose de précis. Je pioche dans plein, dans plein de registres. Carmen Cru m'a forcément influencé, je pense aussi à Mafalda.
Dans tout l’album, vous camouflez systématiquement les regards derrière des lunettes opaques ou des casquettes. Pourquoi ?
Je pense que c’est dû à l’influence de Gary Larson, si les personnages n'ont pas d'yeux. Je n'arrive pas à l'analyser, mais il y a un truc qui me gênerait dans le fait de voir leur pupille. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu'un jour j'aurai une explication claire.
Comment se passe la création des gags ?
C'est la phase la plus angoissante de mon boulot. C'est avoir des idées, et la peur de ne plus en avoir. C'est très angoissant. Quand j'ai fait le tome un, je me disais qu'il n’y aurait pas de tome deux, parce que j'avais tout dit et quand j'ai fait le tome deux, j’ai dit qu’il n’y aurait pas de tome trois. Je me souviens l'avoir dit officiellement dans les bureaux de Fluide. Et puis là, je suis en train de faire le tome quatre… Je me dis qu'il y aura un tome cinq, et après, on verra. Parfois les idées peuvent venir sous la douche en une fraction de seconde, ou en me promenant dans la rue. J’utilise la fonction bloc-notes sur mon portable. Je note le dialogue clé. Pour ne pas oublier la mécanique du gag, car quand ça s'envole c'est foutu, et tu t’en veux après de ne pas l'avoir noté. Je ne veux plus vivre, ça. Donc je note. Et quand je reviens chez moi, je crayonne vite fait. Je vois si ça fonctionne bien, je laisse reposer, je vois si, une semaine après, je ça fonctionne toujours autant. Il y a aussi des gags que je dois laisser reposer plusieurs mois. Je retravaille dessus, et je les remets dans le tiroir, en n'étant pas toujours satisfait. Et puis, il y a un moment où se produit le petit détail qui fait cailler le lait. Je mets tout ça, de manière très rapide, sur une page blanche Photoshop. Et je les enregistre précieusement avec un titre. C'est ma boîte à idées, où y a pas mal de gags qui sont en maturation.

Combien de temps demande un album des Mémés, même si le fait que ce soit des gags créés au fur et à mesure change la donne.
Comme je suis illustrateur, en parallèle pour Bayard, pour le magazine J'aime lire max, j'ai dix planches tous les mois à faire avec un scénariste, Olivier Lhote, pour la série Gibus. Donc ça prend du temps. Je partage mon temps entre Les Mémés et Gibus et d'autres commandes pour la presse. J'en arrive à la conclusion que je dois mettre entre six et huit mois par album des Mémés, car je dessine assez vite, je n'aime pas que ça prenne trop de temps. Mais l'inspiration, trouver des idées reste quelque chose de très anxiogène pour moi. Travailler sur Gibus, avec un scénariste me fais du bien, c’est reposant.
Pourquoi continuer cette série si elle est anxiogène ?
C'est une bonne question. Je pense que j'ai des choses à régler avec moi-même sur l'idée d'être auteur. Jusqu'à maintenant, je me suis toujours planqué derrière de la commande. Tandis que là, j'ai mon nom en haut de l'affiche. Donc c’est thérapeutique pour moi. J'apprends petit à petit à gérer ce truc étrange et insaisissable qu’est l’inspiration et ce serait dommage d'abandonner parce que ce serait quelque part capituler. Et c'est quand même une chouette expérience. Ça se passe super bien avec Fluide. L’équipe est formidable. Je me suis dit que je réfléchirai après le tome 5 à la suite de la série. Stop ou encore. Si je continue, il faut que ce soit pour de bonnes raisons. Quand j'ai expérimenté Les Mémés sur Facebook, je voulais quelque chose de léger à réaliser graphiquement. J'avais fait quelques albums de commandes auparavant , dont certains m’avaient littéralement épuisé nerveusement et physiquement, et je me suis juré de plus vouloir faire de BD de cette manière. Je prends du plaisir à faire ce que je fais et je me dis que c'est un métier super, mais je suis pas suffisamment passionné pour foutre mes tripes sur la table comme ça. Ce qui est bien, c'est qu'entre Les Mémés et Gibus, qui me rapporte un fixe mensuel, j’ai la chance de ne pas être comme beaucoup d’auteurs et autrices, obligé d'envoyer des tas de projets pour espérer en un ou deux se concrétiser. Cela m’assure un certain confort.

À la fin de l’ouvrage sous la citation de Philippe Sollers, le nom de l’auteur est rayé et vous l’avez attribuée à Monique, pouvez-vous expliquer ce clin d’œil ?
Parce qu’il y a un gag où Monique, une des mémés, explique avoir souvent bu au cours de sa vie des coups avec des écrivains célèbres comme D'Ormesson, Sartre, Sollers, etc., et que pendant ces soirées arrosées, il pouvait lui arriver de sortir des phrases débiles que s’empressaient de lui piquer ses compagnons de beuverie. Ainsi, la citation « Passer est autre qu'avoir été. Avoir réellement été, c'est être. On peut être et avoir été. C'est rare » n’est pas de Sollers comme c’est écrit dans les encyclopédies littéraires, mais de Monique ! Et oui !
Propos recueillis par Gunther Wollt

Présentation par l'éditeur
« Jamais deux sans trois ! Pas de Paulette sans Huguette et Lucette. Pas d’Huguette sans Lucette et Paulette. Pas de… bref, pas de tome 2 sans tome 3 ! Vous savez ce que ça fait, vous, de sentir un peu d’air frais dans vos 12 plis de fesse, ou même de voir toutes vos culottes se transformer miraculeusement en string ? Parce que nos mémés oui, et quel bonheur cette vie de retraitées ! Elles croquent dans la vie à plein dentier et nous régalent avec leur humour absurde, leur caractère bien trempé et leur langue bien pendue ! » — Fluide Glacial