Interview de Lionel Marty, à propos des “Ombres de Thulé”

Le dessinateur Lionel Marty signe un retour remarqué avec Les Ombres de Thulé, sur un scénario de Patrick Mallet, pour les Humanoïdes associés. Une BD prenante qui nous embarque dans un univers magique et fantastique, sur fond d'histoire d'Écosse.
Lionel Marty, comment avez-vous rencontré Patrick Mallet, qui est scénariste sur cet album ?
C’était très étonnant parce que j’étais dans une phase où, à défaut de faire quelque chose qui me plaise passionnément en bande dessinée, j’étais un peu désabusé et j’avais décidé d’arrêter la bande dessinée, au moins momentanément. Et c’est à ce moment là que Patrick dit à Boris, un ami commun : « je suis embêté parce que j’ai n gros récit épique de fantasy très proche de l’esprit de Robert Howard, tu ne connaîtrais pas quelqu’un. Boris savait que j’étais passionné par cette branche de la fantasy et il a mis Patrick en contact avec moi. Quand Patrick m’a envoyé les premières pages du scénario, en me disant : « peut-être est-ce que ça va t’intéresser », c’était potentiellement tout ce que j’ai toujours voulu faire. Donc je l’ai appelé, on a parlé, à bâtons rompus jusqu’à ce que le téléphone craque et nous coupe. (Rire). On s’est rendu compte qu’on avait les mêmes imaginaires, que c’était plus que superposable, ça se complétait. Il nous manquait à chacun quelque chose. Par exemple, moi je n’avais pas lu Clark Ashton Smith, que Patrick m’a fait découvrir et que j’adore maintenant. On s’est conseillés des lectures et puis, en même temps, on avait la même base d’envie au niveau de l’ambiance, du thème mais aussi de son traitement. Je pense notamment aux références cinématographiques et bandes dessinées qui font que les envies de narration aient été très proches. Pour moi c’est du jamais vu, au point que je pense que quand on n’a pas vécu ça, c’est compliqué de s’imaginer même que c’est possible, parce que c’est une espèce de facilité de travail où chacun fini un peu les idées de l’autre. On a beaucoup travaillé par téléphone pour élaborer le scénario. Bien sûr, c’est Patrick qui a écrit le scénario, mais il aimait tester ses idées, donc il me téléphonait. Il m’a associé beaucoup comme ça à l’élaboration des personnages, par exemple. Il me disait ce qu'il avait imaginé et moi je rebondissais et on allait plus loin. ça a créé une vraie émulation.
Comment s’est déroulée votre collaboration avec Patrick Mallet ?
Patrick a écrit un premier traitement qui a pas mal bougé parce qu’il y avait toutes les intentions. Mais il y a beaucoup de personnages qui se sont rajoutés et d’une manière très naturelle. Le mauvais côté de rajouter des personnages, c’est que c’est souvent le personnage accessoire qui est là juste pour donner une info, ou débloquer un pan du scénario, etc. Patrick a au contraire monté un récit choral : Il y a énormément de personnages qui ont tous un rôle de premier plan... On a bossé d’une manière un peu intuitive et organique. Il écrivait un premier traitement et ensuite un deuxième, un troisième. À chaque fois, on a affiné après nos conversations et ensuite quand on a eu une histoire arrêtée, il a écrit un scénario complet, dialogues compris. Je suis alors passé au story-board et là on a fait le même travail avec des coups de fils!... Il s’agissait qu’il conserve lui aussi le même enthousiasme que moi durant cette phase-là. C’était super important. Et puis on s’est rendu compte, quand on a fini le story-board , qu’il fallait reprendre les dialogues. Parce que parfois, ce qui est élaboré à l’écrit dans le scénario, quand les personnages n’ont pas encore été dessinés, et qu’ils n’ont pas encore pris leur voix et acquis leur rôle réel change quand ils se mettent à exister sous le crayon!... Donc on a retravaillé les dialogues dans ce sens là. C’était un ping-pong permanent comme ça, où à chaque fois on a resserré les boulons et où la carlingue était de mieux en mieux soudée. C'est un album qui a été long à réaliser et je n’ai pas senti de souffrance. de la fatigue, oui, mais que du bonheur ! Ce fut certes une longue course, mais pas en solitaire puisque le scénariste, qui souvent a fini son travail bien avant le dessinateur, n’etait jamais démobilisé. Patrick était tout le temps là pour, pour m’aider, pour me relancer. Le danger, quand c’est très long, c’est de perdre le contact, au moins partiellement, avec l’intention de départ. Et comme il etait là et qu’on en parlait beaucoup, on a conservé cette passion jusqu’au bout et on est resté toujours très près de notre sujet. Ça m’a énormément aidé qu’il soit là pendant toute la réalisation.
Dans ses remerciements, Patrick Mallet vous remercie justement de l’avoir accompagné pendant toutes ces années dans « cette belle aventure autour du mur d’Antonin. » Combien d’années a donc demandé Les Ombres de Thulé ?
Nos premières conversations, c’était à la toute fin 2018 et on a vraiment commencé à travailler dessus en 2019. Entre-temps, moi j’ai eu un gros déménagement qui a fait que j’ai bien six mois qui ont disparu en fumée avec les travaux, etc. Mais néanmoins, il y a trois ans et demi à quatre ans de travail sur cet album.
Les Ombres de Thulé comporte deux livres dans un même volume. Avec les Humanos, était-ce prévu, au départ, de faire ce dyptique en un seul tome au départ, ou bien en deux tomes ?
Au début, effectivement, on en avait signé un contrat pour deux tomes ...ce qui s’est passé, c’est qu’en cours de route, l’éditeur a douté de cette formule, et il nous a proposé de faire un seul tome, mais sans nous forcer. La première raison pour faire un one shot, c’est une réalité économique du livre qui fait que, de manière mécanique, un tome 2 se vend toujours moins qu’un tome 1, il y avait donc le danger que la fin de l’histoire passe un peu plus inaperçue, ce qui aurait été dommage. Et puis quand on a signé pour deux tomes, c’est parce qu’on avait besoin de cet espace, de cette pagination. Mais on ne tenait pas particulièrement à faire deux volumes. Je pense que c’est une bonne chose d’avoir ainsi regroupé les deux tomes en un seul. cette histoire avait vocation à être complète: Par exemple, il n’y a pas d’ellipse temporelle entre le tome 1 et le tome 2. On commence celui ci quelques heures après la fin du premier. Ce qui fait que ça aurait été étrange d'en commencer la lecture des mois après. Ça ne correspond pas du tout au rythme du récit. Et puis, au-delà du choix économique, en tant que bibliophile, je trouve que un album de 144 pages comme on le sort là, c’est ce que j’aime avoir dans les mains. Non seulement j’ai le récit complet, mais en plus j’ai un objet livre qui est du coup plus généreux. C’est important ce sentiment-là aussi, car une bande dessinée, ce n’est quand même pas donné. Je pense que ça devient important de penser les objets en terme de générosité. J’avais envie que, quand les gens ouvrent le livre, ils puissent le lire d’une traite, s’ils le souhaitent et qu’ils éprouvent ce sentiment d’immersion, ce qui passe aussi par un seul volume. On a un livre univers, on l’ouvre, on s’y plonge, et quand on en sort, on a visité cet univers complètement.
Le récit est ancré dans une histoire réelle, celle de la présence romaine en terre Celte, et l’album utilise aussi de nombreux références aux légendes gaéliques ou celtes. Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
C’est un mélange. Patrick a ses propres sources, quand à moi, j’ai trois sources qui m’ont vraiment amené à avoir envie de développer ce récit : Les grands anciens de la fantasy, comme Robert Howard, Lovecraft, bien sur...Et leur collaboration. Lovecraft écrivait une nouvelle et puis Howard y répondait en réutilisant les mêmes dieux et en racontant une autre face de cette histoire. Et Clark Ashton Smith récupérait ce qu’avaient fait Lovecraft et Howard. Et il y avait une espèce de ping-pong comme ça, qui a crée une mythologie origoinale. une autre source fut la mythologie Celtique, comme la légende de Cúchulainn par exemple - tout le passage avec la Déesse, c’est purement et simplement une évocation des légendes Celtiques. Et enfin la dernière source, c’est un court passage que j’ai lu adolescent dans Au cœur des ténèbres de Conrad, où en quelques lignes, il fait dire à Marlowe, son personnage fétiche : « Ceci aussi fut un des recoins obscurs de la terre. » Et et il évoque alors l’invasion Romaine de la bretagne, comment ils se sont retrouvés là, à l'extrème Nord du monde, perdus au milieu de nulle part, pensant que le bord du monde n’était pas loin. J’ai vraiment toujours été complètement transporté par ces quelques lignes. On avait envie tous les deux, je pense, de faire ce récit hybride ,où toutes ces sources differentes qui avaient été assimilées et recomposées infuseraient une oeuvre originale. nous avions l'ambition de convier le lecteur à une suspension du réel, qu’il nous suive et qu’il nous fasse confiance pour l’amener à visiter ce monde-là.
Les phylactères au contenu magique sont écrits en sorte de hieroglyphes. La typographie est-elle inventée ou empruntée à des civilisations anciennes, et est-ce que le contenu des bulles signifie quelque chose ?
(Rire). Alors pas à ma connaissance. En fait, ce qui c’est passé, c’est que le lettrage a été fait par le studio aux Humanos, notamment par Léonor Pardon et Floriane Candelon, qui ont accompli un travail énorme, pour un résultat superbe. Il y a deux langages magiques dans ce livre: Celui d’Itomée, qui a sa propre magie, héritée des sources qu’elle a pu retrouver dans les tombes Sumériennes, c’est-à-dire les endroits les plus anciens de l’humanité qu’elle a pu visiter... Et des sorciers Sumériens morts, dont elle a pu, par nécromancie, apprendre les secrets qui lui manquaient sur les Ombres de Thulé. Donc, quand Itomée prononce des formules magiques, c’est en Sumérien et c’est vraiment une calligraphie Sumérienne. C’est une typographie qui existe, mais par contre je ne sais pas ce qui a été frappé sur le clavier. Donc si ça se trouve ce sont de vraies formules magiques!... (Rire) La deuxième langage magique, c’est celui des Thulésiens, bien plus ancien et dont personne n’a conservé une trace écrite, pas même les Pictes qui sont leurs héritiers. Il n y a qu'un Thulésien , le seul survivant de son peuple sur ce plan de réalité, qui peut le parler. Pour ce langage, c’est moi qui ai dessiné la graphie pour être sûr qu’elle ne ressemble à aucune autre qu’on puisse trouver dans les alphabets anciens. C'était important qu’il ait vraiment une voix originale et autonome, qui 'existe pâs dans l'histoire humaine. C’était vraiment quelque chose auquel je tenais parce que c’est aussi quelque chose qui participe des racines de la fantasy. Je pense à Tolkien qui a inventé ses langues. Alors, même si on ne va pas aussi loin que lui, ça participe a crédibiliser l’univers. Si tout le monde n’a pas la même langue, la même voix, on ouvre une porte sur un univers plus large, on suggère plein de cultures différentes. Aux Humanos, ils ont été encore plus loin, avec la coloration des bulles du général Horatius, et de tout ce qui concerne les Ombres de Thulé, comme une espèce de corruption où on sent que la langue n’est plus prononcée par un être humain. Ce sont des codes qui, finalement, arrivent à nous faire ressentir des sons. par contre nous avons choisi de ne garder que trés peu d'onomatopées. Quand une scène est bruyante, j'essaye de le faire ressentir par le dessin. Donc je mets très peu d’onomatopées. Il y a un passage où je les ai conservé, c’est sur l’apparition de la première Ombre de Thulé. Il y a un tel trauma cosmique au moment où la réalité se déchire et où la bête apparaît, que ça prend du sens de faire quelque chose d’encore plus bruyant. De souligner. Donc là, j’ai trouvé que ça valait le coup de le faire.
On retrouve dans Cormak des similitudes avec Conan, qui est l’archétype du héros de fantasy. Y-a-t-il justement un code propre à la fantasy au niveau des personnages ?
Il y a forcément un peu de Conan dans Cormak. C’est des envies de jeunesse! Moi, je suis tombé dans la bédé et puis dans la littérature par cette porte-là. Donc forcément, ça a toujours été une envie de raconter les aventures d’un héros barbare. Et puis c’est un roi. Donc forcément, on en pense au roi Conan de certains des récits de Howard. Mais nous le voulions différent. Que contrairement à Conan, ce ne soit pas un roi qui se soit fait par la force et par la rapine. C’est un roi de droit, qui a hérité de sa couronne. Un monarque reponsable, un roi guerrier qui cherche la paix. Finalement, ce n’est pas un roi extrêmement agressif, c’est un roi plutôt posé et qui veut le bien de son peuple. Mais c’est un souverain de son époque, donc il a une certaine sauvagerie qu’il a hérité d'un contexte violent et de ses racines Pictes. Mais ça reste un homme de paix quand on regarde le récit dans sa globalité. Chaque personnage devait avoir une personnalité propre, ce qui passe aussi par une caractérisation physique différente. À la première lecture du scénario, par exemple,pour Cormak, Thorfel et Fergan, je me suis dit : « on a quand même trois guerriers costauds. Il faut vraiment les caractériser pour qu’on ait aucun doute sur eux et sur leurs origines. » Finalement, le costume, l'attitude servent à dire qui ils sont: Cormak est massif, il a une posture un peu monolithique. Il se tient très droit. Fergan est beaucoup plus tourmenté. Il fallait le caractériser d’une manière plus ambivalente. Donc il porte un torque Celte puisque les Pictes n’en portent pas. C’est un petit détail, mais ce petit détail nous dit que même s’il est Picte et qu’il porte leurs tatouages, il porte des éléments de costume qui ne sont pas de son peuple. Si j’avais mis des éléments Romains, ça aurait été trop flagrant. Mais mais avec un élément Celte, ça pose juste un petit décalage. Le doute est semé. Pour Ithomée, c’est passé par sa chevelure. On voulait que ça fasse penser aux Gorgones, quelque chose de serpentin, qui évoque les Ombres. Quand la première Ombre de Thulé apparaît, elle évoque un peu la chevelure d’Ithomée.
Du fait de la profondeur donné à chaque personnage, on est face à une situation assez rare en bande dessinée, où il n’y a pas une vision manichéenne, mais beaucoup plus complexe, Ithomée en est le parfait exemple.
Ithomée, grâce à Patrick, je la trouve tellement bien écrite qu’effectivement on comprend l’origine de toute sa haine. Et d’autant plus qu’elle a pu avoir cette quête folle de vengeance sur une extrême longévité du fait qu’elle est quasiment immortelle. C’était tentant de montrer à quel point elle avait pu développer cette démence au fil des siècles. J’aime beaucoup ce personnage. Pour moi l’opposition qui anime le récit, c'est une lutte entre l’harmonie et le chaos plus qu’entre le bien et le mal. Et finalement, quand la lutte devient globale, ce que Cormak essaye de rétablir, c’est l’harmonie, que ce soit pour son peuple ou pour les autres. Et effectivement, il ne s’agit pas de bien et de mal parce que, par exemple, le personnage que je trouve le plus admirable dans l écriture de Patrick, c’est Fergan. C’est un personnage complexe, qui a mis du temps a trouver sa trajectoire morale. Patrick a réussi à ce tour de force de nous le faire comprendre et aimer. Il y a vraiment quelque chose de très fort et de très relié aux cultures antiques et notamment barbares, avec tous les guillemets qu’on veut à "barbares", dans cette absence de manichéisme: C’est une invention des monothéismes que de séparer l’univers entre les forces du bien et du mal. Les barbares avaient une vision beaucoup plus nuancée, où la valeur importante, notamment chez les Gaëls et les Vikings, était la bravoure. Une bravoure qui sauvait tout, quel que soit les actes du heros par ailleurs. Quand on voit l’histoire des rois Danois, on voit bien qu’il y en a qui ont un comportement ignoble pendant toute leur vie, mais une mort héroïque Mais leur acte héroîque sauve tout! La valeur la plus élevée dans cet univers dur, rude et barbare, c’est le courage.
Comment s’est imposée la forme des ombres, qui finalement ne sont pas vraiment des ombres, mais plus une forme sans forme.
Je pense que ça vient bien sur de Lovecraft et de ses évocations tentaculaires, cauchemardesques. Il y a les Dholes, les Chtoniens, Chtulhu ,toutes les créatures qu’il a inventées... Et puis j'ai aussi puisé dans mon propre réservoir de cauchemars cette idée d’un aspect protéiforme! Mais elles viennent toutes de cet univers parallèle chaotique et corrompu, ce monde de plasma noirâtre bouillonnant. Il y a aussi mes lectures de jeunesse de Moorcock et du cycle d’Elric où il parle du chaos comme d’une espèce de matière corruptrice, en perpétuel bouillonnement. Mutagène. C’est bien sur un mode allégorique pour parler d’une forme de pollution et d’une forme de dégénérescence du vivant. Il y a une altération, une corruption, issue des Ombres et c’est pour ça qu'il y a un tel danger, un tel enjeu, parce que c’est la fin de l’univers, mais il ne va pas disparaître dans une explosion. Il y a la menace d'une espèce de dissolution de tout ce qu’on aime dans une masse protéiforme, un peu hideuse qui prend la forme de l’indicible.
À la fin de l’album, on retrouve des études de personnages, et un character design, où l’on voit des personnages différents de ceux de l’histoire finale, notamment les Hyperboréens. Pourquoi ne pas les avoir conservé ?
C’est vrai qu’on les évoque seulement... mais ils ont complètement disparu! En fait la vision que Brydia reçoit c’est quelque chose qu’elle sera la seule à voir, qu’elle ne pourra pas partager, sauf à celui à qui elle pourrait transmettre ce savoir. Parce que si c’est quelque chose qui a complètement disparu de cette terre, il y a cette idée qu’on retrouve chez les Atlantes d’Howard, les Melnibonéens de Moorcock, qu’on n’est que les derniers arrivés sur terre et qu’avant nous humains, des civilisations entières se sont succédées et sont mortes. On sait bien que nos civilisations naissent et meurent... npous voulions qu’on sente que cet univers est plus large que ce qu’on en perçoit. C’est un peu comme l’évocation du langage des Thulésiens dans les bulles. Ouvrir une porte, sans tout expliquer. C’est terrible de tout expliquer! Si on explique tout, on ne sème pas dans l’esprit du lecteur ce qui va lui donner envie d’imaginer une partie du récit. Et ça, c’est vraiment un des moteurs de la fantaisy. Pour revenir aux Hyperboréens, j’avais envie qu’il y a un truc qui soit presque inatteignable et tellement lointain dans le passé que ce ne soit même plus un souvenir pour les humains. Il n’y a vraiment que les sorciers qui puissent en avoir un écho...
Les Ombres de Thulé reste un ouvrage violent, bien qu’au final il se dégage une autre esthétique, plus douce que le dessin sorti du contexte ne le laisserai voir. Comment arrive-t-on à ce résultat, et quelle est la limite à la violence dans une bande dessinée ?
C’est une question qui me taraude comme dessinateur. Je ne rechigne pas, bien au contraire, à montrer de la violence dans ce type de récit. Le truc, je pense, c’est comment on la montre. Il faut que ce soit sincère et que ça sonne juste.Par exemple, je pense que la mauvaise façon de montrer de la violence, c’est de montrer une violence racoleuse. Racoleuse car dépourvue de sens dans l’histoire, sortant du chapeau de manière gratuite et surtout esthétisée. Je pense que quand c’est violent, ça ne doit pas être esthétisant. Ça doit être un peu poisseux. D'autre part, c'est un récit heroîque, et L’héroïsme a un prix, delui du sang. La violence fait très peur aujourd’hui. Mais la violence , en fantasy, est parfois un outil pour que les choses rentrent dans l’ordre. Parce que la violence, n’est pas une chose mauvaise en soi, c’est un fait. C’est un fait universel comme la gravitation universelle. Nos héros vivent dans un monde violent, et leur posture morale est plus dependante de leurs choix que de leur violence. Cormak, par exemple, est un personnage violent mais il est super positif! Parce qu’il s’en sert pour rétablir l’harmonie. Certains combats sont nécessaires...
Travaillez-vous en traditionnel ou en numérique ?
Je travaille uniquement en traditionnel. J’ai besoin d’avoir le plaisir de dessiner sur du papier d’une part, et d’autre part, j’aime avoir des originaux papier. Pour moi c’est important. C’est vraiment ce que je veux. Je me fais plaisir et j’ai une espèce de satisfaction à avoir produit sur papier, que je n’ai pas sur numérique. Et puis, je trouve que ça devient crucial de repenser ça, parce qu’il y a eu une numérisation globale de tout. On voit aujourd’hui arriver les IA qui menacent quand même les activités des dessinateurs et je trouve que plus on numérise en fait, plus on en perd le geste et moins on le fait découvrir au public aussi, par le fait d’exposer des pages. Il y a encore des gens qui sont amoureux du dessin et du papier et il ne faut surtout pas se couper de ça. C’est un plaisir de voir des œuvres sur papier. Moi le premier, j’adore voir ça. Le numérique, me dit on, c’est pratique et on gagne du temps. Mais bon, si on doit tout résoudre par une équation de gain de temps… On vit déjà à cent à l’heure en permanence. C’est donc bien que le dessin soit une activité qui soit hors du temps. D’ailleurs, j’en profite pour dire un petit mot sur les Humanos qui m’ont par deux fois rallongé le délai de fin de réalisation de l album et qui me m’ont pas embêté avec ça. Et Dieu sait que c’est important parce que c’est la qualité qui s’en ressent quand on va plus vite. Et le genre épique, c’est un genre gourmand car il y a un mouvement ascensionnel quand on s’approche des pages de la fin. Il y a de plus en plus de personnages, et les cases sont de plus en plus impressionnantes. Donc c’est vrai qu’à la fin de l’album, on met beaucoup plus de temps qu’au début. Les Humanos , en la personne de Cécile Chabraud qui m'a accompagné sur cet album, ont joué le jeu et compris, je voulais le souligner! Quand on est sur un album qui nous prend H24 pendant quatre ans, on ne peut pas aller plus vite, il faut savoir aussi prendre le temps nécessaire. Le temps qui passe modifie aussi l’histoire et ça nous permet également de mieux maîtriser les personnages, de mieux voir émerger les thématiques. Typiquement, sur le personnage de Fergan sur un album réalisé en un an, on n aurait pas eu cette finesse de travail d'écriture en profondeur! Donc oui, c’est vraiment précieux d’avoir une plage de temps comme ça. Après honnêtement, je ne ferais pas que des albums en quatre ans!... Mais sur celui là c’était vraiment essentiel d’avoir ce temps.
Quel est votre prochain album ? Un univers non exploré partant de l’univers des Ombres de Thulé ?
J’ai encore des projets avec Patrick, parce qu’on a tellement aimé travailler ensemble qu’il y a d autres choses qui se mettent en place. Je dis d’autres au pluriel parce qu’il y a énormément de projets dans les tiroirs. Alors lequel va sortir le premier ? Je ne sais pas, mais en tout cas, c’est le projet. J’adore cette idée d’univers étendu et j’adorerai que les Ombres de Thulé soient la première pierre d’un édifice de ce genre... Et on ne s’interdit pas de revenir dans cet univers! Pas forcément pour une suite directe d'ailleurs. Ni pour en expliquer tout! Il faut vraiment donner envie d’explorer les terres de la fantaisy, où tout est permis. Il ne faut surtout pas tout expliquer, sinon on retombe dans notre univers à nous qui est un univers fini où tout sur et sous la terre est connu, cartographié. Il faut garder des terres vierges pour stimuler l’imaginaire.
Avez-vous une anecdote concernant Les Ombres de Thulé ?
Il y en a plusieurs, mais il y en a une qui est assez drôle. Je ne veux pas spoiler le récit, donc c’est délicat, mais je vais dire qu’il y a la trajectoire d’un des héros qui a été un peu compliquée parce que quelque part, moi, dans ma tête, j’ai tellement aimé ce récit que j’ai vraiment lutté pied à pied pour les sauver ! J’ai tout tenté, j’ai vraiment tout tenté.Je ne voulais pas qu’ils disparaissent. Au final, Patrick a su me convaincre qu'un tel récit épique ne pouvait s'accomplir sans sacrifices.

Présentation par l'éditeur
« Dans une Écosse ancestrale où la magie n’a pas encore disparu, un fléau millénaire est scellé. Mais plus pour longtemps. Écosse, IIe siècle après J.C. Au-delà du mur d’Antonin, la guerre entre l’envahisseur romain et les peuples gaëls et pictes piétine. Manipulé par une sorcière, le général romain Horatius libère un fléau ancestral sur la terre de ses ennemis : les Ombres de Thulé. Pour faire face à cette menace, le roi des Pictes devra unir des peuples autrefois ennemis et faire appel à des pouvoirs oubliés. » — Les Humanoïdes associés