Interview de Christian Papazoglakis, à propos de “24 Heures du Mans, 100 ans d'innovations”

Christian Papazoglakis
Christian Papazoglakis | © Johan Bolckmaus

Après avoir collaboré sur la série Michel Vaillant pour les éditions Graton, Christian Papazoglakis dessine, depuis 2010, les grands moments de la course automobile pour la collection Plein Gaz de chez Glénat. Son dernier ouvrage 24 Heures du Mans, 100 ans d'innovations, est sorti juste avant le centenaire des 24 Heures du Mans.

Christian Papazoglakis, vous avez travaillé sur la série Michel Vaillant, et désormais vous traitez la course automobile sous de multiples angles, comme dans la série Chapman, ou dans le one shot Sebring 70 – la 12e heure, tous les deux parus chez Glénat, ou sur la série des 24 Heures du Mans. Vous êtes devenu un dessinateur incontournable pour les amateurs de sport automobile. D’où vous vient cette passion pour le dessin des voitures de course ?

J'ai toujours dessiné beaucoup de voitures quand j'étais gamin. De façon un peu compulsive, je ne dessinais à peu près que ça quand j'étais gamin. Je pense que c'est parce qu'à l'époque, avant internet, avant les magazines, on n'avait pas beaucoup accès aux images. Les seules occasions qu'on avait de voir des voitures de course, c'était éventuellement d'attraper quelque chose à la télé ou dans des séries ou des films. Donc, je pense que j'en dessinais beaucoup parce que j'aimais ça et que j'étais un petit peu en manque. Ça me permettait de me plonger dans ce milieu-là à moindres frais, on va dire. Mais j'ai toujours été un peu fasciné par les courses de voiture, alors que c'était pour moi aussi proche et réaliste que les vaisseaux spatiaux ou les cowboys ou les Schtroumpfs. Je ne m'attendais pas un jour à me retrouver sur les circuits, faire partie un petit peu du cirque des 24 heures du Mans.

Quand on a votre expérience en dessin automobile, a-t-on toujours recours à certaines astuces, comme le calque d’après photo, les petites voitures, afin de saisir les perspectives et les lignes de fuite ? Car dans cet album, montrant de nombreuses voitures, vous n’avez pas le temps de vous habituer à un modèle.

Oui, tout à fait. J'utilise maintenant un ensemble de sources différentes qui vont des vidéos d'époque aux modèles réduits que je peux prendre en photo et mettre en situation, y compris même des modèles en 3D numérique que je peux manipuler par ordinateur dans l'espace pour avoir les angles qui m'intéressent. Notre but, c'est d'arriver à produire ce qu'il faut bien appeler un produit dans un temps imparti avec un coût imparti. Donc tous les outils sont bons à prendre. Quand c'est possible, je pars de photo, je passe à la table lumineuse les principales lignes pour avoir les volumes dans les bons angles, avec les bonnes proportions. Ça ne veut pas dire que je ne pourrais pas faire sans, mais ça me permet de gagner du temps, simplement. Dans l'album précédent qui traitait de 70, 71, on n'avait à peu près que deux modèles. Grosso modo, il y avait la 917 et les Ferrari de la même époque et leurs différentes déclinaisons. J'arrivais, avec le temps à les connaître un petit peu par cœur. Dans ce cas ci, c'est vrai qu'on change de modèle toutes les deux pages. Ça a été un des casse-têtes. J'ai dû chaque fois repartir à zéro, trouver de la nouvelle doc. C'était forcément des voitures que je ne connaissais pas bien, puisque ce sont souvent des modèles qui sont un peu spéciaux, mais qui n'ont pas eu une grande carrière. Donc, effectivement, j'ai dû mettre de mon côté tous les outils possibles pour pouvoir travailler le plus vite possible et le plus facilement.

Dessiner un album retraçant les progrès techniques durant les 24 heures du Mans, demande à consulter un grand nombre d’archives. Quand vous faites l’éclaté du coupé de Ville et Spyder le monstre, c’est à partir d’un éclaté fait par l’usine, ou vous l’avez créé à partir de plusieurs archives ?

J'ai eu l'aide d'un monsieur qui est dans les remerciements, Pierre Logier et qui a construit un modèle réduit de cette voiture. Il a eu la gentillesse de m'envoyer des photos en bonne résolution de son modèle. Je me suis basé sur son modèle pour la forme générale et les volumes. Puis j'ai fait des recoupements avec différentes photos, effectivement, que j'ai trouvées dans des bouquins ou sur Internet. J'ai regardé récemment, j'ai un dossier de documentation avec des photos dont une bonne partie me sont envoyées par Denis Bernard, le scénariste. Il y avait 1800 photos pour cet album-ci. Il y a beaucoup de recoupements et de temps qui est passé à faire des recherches.

Vers la moitié de l’album, vous sortez du gaufrier classique pour présenter les voitures. Comme dans la planche où vous avez dessiné la Carrera RSR et la Moby Dick. C’est un choix de votre part, où une volonté du scénariste ?

C'est quelque chose qu'on avait évoqué dès le début avec le directeur de la collection, Frédéric Mangé, et avec le scénariste, parce qu'on savait que Denis allait être confronté à la difficulté de devoir écrire 25 ou 27 histoires et que, forcément, ça risquait d'être très difficile de chaque fois trouver un nouvel artifice. Donc, on s'était dit On va s'offrir le luxe de sortir du canevas, effectivement, du gaufrier et de faire des pages plus illustratives. Malheureusement, on n’en a pas fait beaucoup par manque de temps. On a été un petit peu pris par la machine. On aurait pu être plus créatifs à ce niveau-là et faire des choses un peu plus explosées, mais le texte de Denis ne le permettait pas forcément et on a manqué de temps pour vraiment expérimenter car il a fallu faire 70 pages au lieu des 46 qu'on fait habituellement dans le même laps de temps du fait de l’édition spéciale pour la librairie Bulle. Je casse les pieds à Denis parce que j'essaye toujours de ne pas faire ce qu'on appelle un album d'autollants Panini avec avec six ou huit vignettes représentant chacune une voiture en gros plan, parce que je trouve que ce n'est pas très BD. Quitte à faire quelque chose dans ce sens là, on a préféré y aller à fond et complètement supprimer les cases et faire une double page de galerie plus esthétique.

Comment avez-vous rencontré Denis Bernard, le scénariste ?

Denis Bernard était venu faire un reportage audiovisuel sur le studio, sur Jean Graton à l'époque où je travaillais comme assistant. Ensuite, il a scénarisé des dossiers pour Gratton Éditeur, entre autres sur Pescarolo. Et puis, j'ai été contacté par Glenat pour travailler sur cette collection. J'en ai parlé à mon collègue Robert Paquet qui a évoqué Denis, avec qui j’étais resté en contact. On avait envie de continuer à travailler ensemble. Et donc on a proposé à Denis de se joindre à nous parce qu'on connaît sa rigueur et sa culture pour ce genre de choses. Il n'en parle pas beaucoup. Il est très discret là-dessus, mais il a été pilote en monoplace à l'époque de Prost en Formule Renault. Et il a roulé sur les grands circuits comme Rouen à l'époque où il y avait des arbres au bord de la piste. Donc, il sait de quoi il parle.

L’album se compose de plusieurs récits, comme des nouvelles. Comment avez-vous fonctionné avec Denis Bernard ? vous a-t-il livré un scénario complet dès le départ, ou avez-vous construit histoire par histoire ?

Dans la majorité des cas, j'essaye d'avoir un scénario complet. Pour cette série-ci, on est un petit peu piégés par le délai, puisqu'il faut que l'album sorte tous les ans au mois de juin. Donc, il nous est arrivé de commencer un album sans avoir le scénario complet. Et puis, quand on arrive au milieu, on se rend compte que ça ne tient pas la route, qu'on a oublié des personnages en cours de route ou que ça manque d'action ou de scènes intéressantes. Donc, c'est un problème. J'essaye donc d'avoir un scénario complet d'habitude. Dans ce cas ci, comme c'est une série d' épisodes de deux ou trois pages, Denis a travaillé chaque épisode séparément et m'a envoyé les épisodes un par un. On a travaillé par deux ou trois pages, petit à petit.

Les planches originales de BD de voitures sont parmi les planches les plus prisées. Est-ce que cela vous incite à continuer de travailler en méthode traditionnelle ?

Je suis un peu de la vieille école, donc j'avais plus de facilité à travailler en traditionnel. Je me suis beaucoup forcé à travailler en numérique quand c'est arrivé et qu’on nous disait qu'on était mort, qu'on allait disparaître et qu'on allait être remplacé par le numérique. Je me suis beaucoup forcé à travailler en numérique, mais je ne retrouve pas le même plaisir, et ça ne va pas plus vite. Donc je ne m'y suis jamais vraiment mis, sauf pour des travaux publicitaires ou des illustrations commerciales où le style doit être très froid. Là, en BD, j'essaye qu'on voit malgré tout que c'est tracé par quelqu'un qui a qui tient un outil en main. Et le numérique a tendance à faire disparaître ce sentiment. Mais je ne dénigre pas du tout cet outil-là. Il y a des gens qui font un travail formidable. Mon collègue, Youssef Daoudi, par exemple, fait des romans graphiques, comme ça, de façon très jetée, avec des plumes un peu déstructurées et c'est très beau. Mais moi, j'ai pas les mêmes facilités et je vois pas mal de mes collègues qui repassent du numérique au traditionnel, justement, entre autres aussi pour pouvoir vendre des originaux. C'est vrai que dans la mesure où c'est mon seul métier, ça fait une rentrée financière qui est pas négligeable à la fin d'un album. D’ailleurs parfois, l'album n'est pas l'objet le plus rentable dans l'équation, et sert de vitrine et de déclencheur pour d'autres choses. C'est un ensemble.

Combien de temps vous a demandé cet album ?

J'ai commencé les dessins fin août et j'ai terminé début avril, donc sept mois si je compte bien. Ça a été sept mois très intenses. Où j’ai dû faire le ménage dans mes projets parce que je devais sortir deux ou trois pages par semaine, y compris l'écriture, le découpage graphique, la doc, etc. Je n'ai pas eu le temps de faire grand-chose d'autre en même temps. Je vous avoue que là, j'ai un petit peu l'impression de sortir d'une caverne et de voir le jour ou la première fois maintenant qu'il est fini.

Quelle voiture avez-vous préféré dessiner dans cet album ?

C'est un petit peu un album de curiosité, puisqu'il y a le monstre Cadillac et les Renault 4 CV, qui sont atypiques. Il y a aussi la Nardi. Mais j'ai un faible pour les 911 et leurs déclinaisons, justement, parce qu'elles représentent un petit peu l'épreuve, et qui ne sont d'habitude pas tellement mises en avant. Et puis, elles ont cette forte personnalité qui fait qu'elles ont évolué en gardant un trait à peu près identique depuis cinquante ans, si je me souviens bien. Il y a aussi les Jaguar, les type C, les type D, mais on ne les voit pas beaucoup. C'est un peu ça la période la plus chouette pour moi. La fin des années 60, le tout début des années 70. Il y a la Chaparral aussi et toute l'évolution de la 917 vers la 936 qui crée une sorte d'archétype aussi des années 70 qui garde ce côté viril et sensuel avec des larges épaules. Après, quand on arrive dans les années 80, ça devient très industriel et un petit peu moins dessiné, et ça m’intéresse moins. Comme pour beaucoup de monde.

Quel sera votre prochain album ?

Là, on est reparti sur 24 Heures du Mans. Je ne connais pas encore exactement le contenu. Dans la série, on a un album qui se termine en 74, qui était consacré à Matra. Je pense que le projet est de boucler en deux albums la période de 75 à 80. Le prochain album pourrait être la période des Art-cars qui coïnciderait avec le retour de BMW l'année prochaine sur l'épreuve. Ce serait vraisemblablement 75, 77 ou 78.


Couverture de 24 Heures du Mans - 100 ans d'innovations
© Glénat

Présentation par l'éditeur

« Depuis sa création en 1923, le rendez-vous des 24 heures du Mans a connu des moments d’anthologie, des sacres et des drames qui ont rythmé un siècle de courses. Mais si la plus grande épreuve d'endurance automobile a vu bien des carrières décoller, elle a aussi été jalonnée de cent ans d’innovations techniques. Avec ce dixième volume de la collection publié à l'occasion du centenaire des 24 heures du Mans célébré en 2023, Denis Bernard et Christian Papazoglakis passent en revue vingt-quatre voitures emblématiques de la course mancelle qui, si elles n’ont pas forcément triomphé, ont toutes marqué leur époque par des évolutions technologiques : la 4 CV Renault (moteur arrière), la Tracta (traction avant), la Delettrez (diesel), la Chaparral (aileron), la Howmet (turbine), la Chenard et Walcker Tank (aérodynamisme), la Panoz Q9 (hybride), etc. » — Glénat

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